Critique de la notion de « moins disant » par rapport au « mieux disant » dans les marchés publics. En 1683, VAUBAN le disait déjà…

Même si ce n’est plus une obligation du code des marchés publics, bien souvent les acheteurs publics choisissent l’offre la moins chère. Réaction compréhensible qui est aussi souvent motivée par la peur de se voir reprocher par sa hiérarchie un choix plus audacieux fondé sur la qualité plus que sur le prix.

Le conséquence de ce réflexe du « moins disant » que l’acheteur public assimile souvent -à tort- à la notion de « mieux disant » peut malheureusement être que le prestataire ou le fournisseur choisis ne fourniront pas le niveau de qualité adapté au marché qu’ils ont remporté.

Un éternel problème qui se posait déjà dans les marchés publics en l’an 1685 comme en témoigne cet échange de courrier entre le célèbre architecte VAUBAN (concepteur de nombreuses places-fortes bien connues) et Monsieur de LOUVOIS, un conseiller d’Etat du Conseil du Roy.

Selon les sources, il existe plusieurs versions datées à des moments différents (1683 et 1685). Ceci dit, quelle que soit la date, elle conserve, trois siècles plus tard, toute son actualité puisqu’elle fait la critique du  » moins disant  » dans le cadre des marchés publics.

La morale: on ne gagne pas toujours a choisir le moins cher. Entreprises et acheteurs publics à vous d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

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 » LETTRE DE VAUBAN À LOUVOIS
Belle-lsle, le l7 juillet 1683

A Monsieur de Louvois en son Hôtel de Paris

Monseigneur,

« …II y a quelques queues d’ouvrages des années dernières qui ne sont point finies qui ne finiront point si les entrepreneurs en sont crus ; et tout cela, Monseigneur, par la confusion que causent les fréquents rabais qui se font dans vos ouvrages, car il est certain que toutes ces ruptures de marchés, manquements de paroles et renouvellements d’adjudications ne servent qu’à vous attirer tous les misérables qui ne savent où donner de la tête, les fripons et les ignorants, pour entrepreneurs, et à faire fuir tous ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une entreprise.

Je dis de plus qu’elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages qui n’en sont que plus mauvais, car ces rabais et bons marchés tant recherchés sont imaginaires, d’autant qu’il est d’un entrepreneur qui perd comme d’un homme qui se noie, qui se pend à tout ce qui peut ; or, se pendre à tout ce qu’on peut en matière d’entrepreneur, est ne payer les marchands chez qui il prend les matériaux, mal payer les ouvriers qu’il emploie, friponner ceux qu’il peut, n’avoir que les plus mauvais parce qu’ils se donnent à meilleur marché que les autres, n’employer que les plus méchants matériaux qu’il peut, tirer toujours le cul en arrière sur tout ce à quoi il est obligé, tromper sur les façons, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci et celui-là, notamment contre tous ceux qui le veulent obliger à faire son devoir.
« II arrive de plus que, les entrepreneurs tombant dans le désordre de leurs affaires avant que les ouvrages soient à moitié faits, on est obligé, pour la sûreté des deniers du Roi, de les économiser, or économiser sur ce pays et les faire faire ajournées est la même chose, car il ne s’y trouve point de sous-entrepreneurs assez hardis pour travailler à la toise, cependant c’est la pire de toutes les manières de travailler, supposé même que tout s’y fit avec toute la fidélité et l’attachement possibles ; car qui nous prouvera que l’habileté de ceux qui font ces sortes d’économies soit plus grande que celle des entrepreneurs ? Où l’ont-ils appris et quelle expérience ont-ils ?

Je dis plus : qui nous assurera qu’ils se porteront avec autant de soin, eux qui n’en craignent pas la perte ni n’en espèrent de profit ? II faut du moins avouer que les motifs qui font le sujet de leur application sont bien au-dessous de ceux des entrepreneurs qui sont toujours puissamment excités par l’espoir du gain et par la crainte de la perte.
« Rien n’est plus contraire à la bonne foi que les rabais reçus six mois après une adjudication faite dans toutes les formes, c’est-à-dire après cautions reçues et les ouvrages commencés ; rien ne les décrédite plus que ces façons d’agir directement opposées à la justice et à l’équité ; rien ne les retarde tant que ces renouvellements pernicieux par des discussions que les entrepreneurs qui entrent ont avec ceux qui sortent, qui remplissent tant de chicanes et de contentions sur le fait des toisés, des outils et des matériaux ; et rien n’est moins sûr, la plupart du temps, que les cautions que ces gens donnent, vu que, par la perquisition qu’on fait de leur bien, ils trouvent moyen d’en faire paraître son recours contre eux.

En un mot, tous les rabais reçus sur les ouvrages de Brest et de Belle-lsle n’en ont fait baisser le prix qu’en apparence ; car, en effet, ils les ont si bien renchéris que la forme de Brest coûtera dix mille écus de plus qu’elle ne devrait avoir coûté ; la toise cube de revêtement de la ville, beaucoup plus que son marché ne porte aussi bien que celui des batteries de Léon et de Cornouaille ; quant à ceux de Belle-lsle, il ne faut que voir l’apostille autorisée de leurs entrepreneurs pour être convaincu de cette vérité. C’est encore un très mauvais ménage que de traiter des ouvrages à l’année, parce que tout entrepreneur qui fait de tels marchés, doit compter, s’il a le sens commun, de regagner tout son équipage et ses peines sur la même année, au lieu que, s’il traitait pour tout un ouvrage qui dût durer deux ou trois ans, il ferait son compte sur sa durée et, de cette façon, il arriverait que tels ouvrages qui coûtent 30 livres n’en coûteraient pas 27.
« En voilà assez, Monseigneur, pour vous faire voir l’imperfection de cette conduite ; quittez-la donc, et au nom de Dieu rétablissez la bonne foi ; donnez le prix des ouvrages et ne plaignez pas un honnête salaire à l’entrepreneur qui s’acquittera de son devoir ; ce sera toujours le meilleur marché que vous puissiez trouver. Ne faites plus les marchés à l’année mais pour tels et tels ouvrages ; et en un mot soyez fidèle dans l’exécution de votre part comme vous prétendez que l’entrepreneur le soit dans la sienne.

Mais surtout n’acceptez point d’entrepreneur qui ne soit solvable et intelligent ; c’est l’unique moyen d’être bien servi. En user autrement, vous ne verrez jamais la fin des ouvrages qui vous coûteront le tiers ou le quart plus qu’ils ne vaudront, vous donneront mille chagrins à tous et à ceux qui s’en mêleront ; et vous et eux n’en serez pas moins la dupe. »

Quant à moi, Monseigneur, je reste assurément de tout cœur votre très humble et très obéissant serviteur.

VAUBAN


Réponse de Louvois à Vauban, le 6 août 1683 :

« Ecartez sans faiblesse les méchants entrepreneurs, il en est assez de bons pour construire nos bastions, nos quartiers, nos manufactures et nos bâtiments : n’ayez rapports qu’avec de gens de foi et d’honneur et parmi ceux-ci cherchez le bon marché. « 


 

Sources: « Speedy » du site Agorapublix.com; BNF (Gallica); « Fricotin ».

 

25 novembre 2015

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